Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé
CONSEQUENCES DES VIOLENCES CONJUGALES SUR LA SANTE DES FEMMES ET DE LEURS ENFANTS
La violence au sein du couple a une incidence majeure sur la santé des femmes, que ce soit du fait des blessures provoquées ou des affections chroniques qu'elle peut engendrer. Les coups reçus, l'état de tension, de peur et d'angoisse dans lesquel elles sont maintenues par leur agresseur, ont de graves conséquences et sont à l'origine de troubles très variés.
Les données disponibles montrent que, comparées aux femmes n'ayant jamais subi de violences, ces femmes présentent des symptomes physiques et psychiques plus nombreux et s'estiment en moins bon état de santé. 16% l'ont qualifié de " moyen " et 4% de " médiocre " ou " mauvais" dans l'enquête Enveff 2000. Elles ont des affections chroniques plus fréquentes et la probabilité d'avoir été hospitalisée au cours des douze derniers mois, quel que soit le motif médical, est significativement plus élevée lorsqu'elles ont subi des agressions. Enfin, elles ont une consommation accrue de médicaments psychotropes (22% dans l'enquête ENVEFF) et de soins médicaux.
Les incidences sociales sont également importantes. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les femmes victimes de violences conjugales perdent entre une et quatre années de vie en bonne santé et la prise en charge ambulatoire d'une femme victime de violences conjugales coûte deux fois et demi plus cher à la société que celle des autres femmes.
La violence conjugale est donc un authentique problème de santé publique nécessitant une approche médicale pluridisciplinaire.
Nous aborderons d'abord les principales conséquences de la violence conjugale sur les femmes puis sur leurs enfants.
La traumatologie
Les lésions traumatiques sont une conséquence de la violence physique.
Elles sont souvent multiples, d'âge différent et de nature très variée. Erosions, ecchymoses, hématomes, contusions, plaies, brulures, morsures, traces de strangulation, mais aussi fractures, sont les principales lésions retrouvées. La fréquence de chaque type de blessure est variable. Nous citerons comme exemple une étude américaine effectuée dans un service d'urgences à partir de 279 cas (Hotch et coll, 1995) dans laquelle la répartition des blessures liées à la violence conjugale était la suivante : 59% de contusions, 24,1% de plaies profondes, 13,9% de plaies superficielles, 6% de fractures, 1,2% de brulures. Dans la majorité des cas, les lésions sont dûes à des coups donnés à main nue, mais toute sorte d'objets peuvent être utilisés. L'emploi d'armes est plus rare.
La localisation des lésions est également variable. Les lésions siègent principalement au visage, au crâne, au cou, aux extrêmités, mais peuvent être dissimulées par les vêtements. Parmi 138 femmes victimes de violences conjugales et consultant dans une unité médico-judiciaire française, le nombre de lésions constatées par patiente a été de 3. Elles concernaient seulement la face dans 23,9% des cas, le reste du corps dans 31,9% et l'ensemble du corps dans 44,2% (Thomas et coll, 2000). Les traumatismes dentaires, maxillo-facials, ophtalmiques et otologiques sont assez fréquents. On peut constater des fractures dentaires, des os propres du nez et du massif maxillo-facial (os zygomatiques, mandibules), des hémorragies conjonctivales et des décollements de rétine responsables d'une baisse de l'acuité visuelle, des perforations tympaniques responsables d'une baisse de l'acuité auditive.
Les violences physiques ne sont jamais isolées. Elles sont accompagnées d'injures, de menaces et précèdent le plus souvent des rapports sexuels forcés.
Elle sont à l'origine de séquelles telles que fatigue intense, douleurs musculaires limitant l'activité, entraînant une impotence fonctionnelle plus ou moins importante que le médecin devra apprécier pour déterminer l'Incapacité Totale de Travail (ITT).
Les pathologies chroniques
Toutes les pathologies chroniques nécessitant un traitement continu et un suivi régulier sont susceptibles d'être déséquilibrées ou aggravées par les violences que ce soit des affections pulmonaires (asthme, bronchites chroniques, insuffisance respiratoire), des affections cardiaques (angine de poitrine, insuffisance cardiaque), ou des troubles métaboliques (diabète). Il peut être difficile pour la femme de suivre son traitement ou de consulter, du fait de son asthénie, de son mauvais état de santé physique, d'un état dépressif ou parce que son mari contrôle ses faits et gestes et l'en empêche.
Les décès
Les violences conjugales sont une des causes principales de mortalité des femmes. La mort peut être l'issue ultime de la violence qu'il s'agisse de suicides, d'homicides ou de décès dûs à des pathologies en lien avec la violence, telles que lésions du foie, ruptures de la rate par exemple. D'après le Ministère de l'Intérieur, en France, trois femmes meurent du fait de violences conjugales tous les 15 jours. D'autre part, sur un échantillon de 652 cas colligés sur une période de 7 ans à l'Institut Médico-légal de Paris, 31% des homicides de femmes avaient été perpétrés par le mari, 20% par son partenaire sexuel et dans seulement 15% des cas le meurtrier était inconnu de la victime (Lecomte et coll, 2001). Enfin, on estime que les femmes victimes de violences conjugales font 5 fois plus de tentatives de suicide que dans la population générale (Stark § Flitcraft, 1991).
La psychiatrie
La violence psychologique peut exister séparément ou n'être qu'un préalable à la violence physique. C'est une violence faite d'attitudes ou de propos humiliants, dénigrants, méprisants, de menaces ou de chantage. Cette violence insidieuse se poursuit sur une période souvent très longue. Par un phénomène d'emprise, la victime, paralysée, subit sans rien dire les pires avanies pendant des années, cherchant parfois même des excuses à son partenaire. L'état de tension, de peur et d'angoisse dans lesquels les femmes maltraitées sont maintenues par leur agresseur peuvent produire différentes formes de troubles psychiques. Ainsi, parmi 60 patientes hospitalisées dans un service de psychiatrie nord-américain, la moitié avaient été victime de violences conjugales (Post et coll 1980).
Il peut s'agir :
- de troubles émotionnels : colère, honte, sentiment de culpabilité, sentiment d'impuissance, " auto-dévalorisation ", états d'anxiété, de panique, ou manifestations phobiques, réponses normales à une situation permanente de terreur ;
- de troubles psychosomatiques : troubles digestifs, lombalgies chroniques, céphalées, asthénie, sensation d'engourdissements et de fourmillements dans les mains, tachycardie et palpitations, sentiment d'oppression et difficultés à respirer ;
- de troubles du sommeil : difficultés à s'endormir, veille ou réveils nocturnes, cauchemars ;
- de troubles de l'alimentation : prises de repas irrégulières, anorexie ou boulimie ;
- de troubles cognitifs : difficulté de concentration et d'attention, pertes de mémoire.
Les dépressions sont fréquentes et frappent plus de 50% des femmes victimes de violences conjugales. Elles sont caractérisées par une perte d'estime de soi, une prudence exacerbée, un repli sur soi, des troubles du sommeil et de l'alimentation, des idées et/ou tentatives de suicide. Elles peuvent être la conséquence naturelle d'une situation dans laquelle la femme se sent ou est réellement dans l'impossibilité de fuir le contrôle et le pouvoir de son partenaire qui la maltraite. Elles peuvent être également dûes au sentiment que la vie du couple arrive à son terme, à une grande incertitude de l'avenir, à la peur de représailles de la part du partenaire, à la crainte de perdre la garde de ses enfants, à la crainte de difficultés économiques, ou encore à une intériorisation de la colère.
Les abus de substances psychoactives sont fréquents : consommation chronique et abusive de tabac, d'alcool, de drogues psychoactives, de médicaments analgésiques, anxiolytiques, antidépresseurs ou hypnotiques. 10% des femmes victimes abusent de drogues et de médicaments prescrits par leur médecin (sédatifs, somnifères, analgésiques) (Stark & Flitcraft, 1988). Cet abus peut être interprété comme une tentative d'automédication pour faire face à l'anxiété et à la violence qui la provoque.
D'autre part, de nombreuses femmes victimes de violences conjugales présentent tous les signes d'un syndrome post-traumatique, syndrome commun à toutes les personnes qui ont subi un traumatisme grave. 46,7% à 58% des femmes violentées présentent ce type de syndrome (Garibay-West, 1990, Austin, 1995).
Il comporte :
- une expérience itérative des évènements du traumatisme (pensées " intrusives", "flash back", cauchemars) ;
- des réactions émotionnelles et physiques exagérées, provoquées par "un évènement gachette" qui rappelle le traumatisme ;
- une stratégie d'évitement des activités, des lieux, des pensées ou des conversations qui rappellent le traumatisme ;
- un état d'hyperexcitation avec réactions exagérées à toute stimulation, hypervigilance, irritabilité, troubles du sommeil, troubles de la concentration ;
- des troubles dissociatifs : " déréalisation ", " dépersonnalisation ".
Ce syndrome doit être recherché à l'aide d'échelles comme le Clinician Administered Post-traumatic Stress Disorder Scales (CAPS-DX) particulièrement chez les femmes qui présentent une dépression, une anxiété ou un abus de substances. Les formes les plus sévères du syndrome post-traumatique sont appelées complexe Post Traumatic Stress Disorder (PTSD).
Ce cadre clinique comporte parfois des troubles d'allure psychotique : états de désorientation ou de confusion mentale, altérations du niveau de conscience et pensées délirantes ou paranoïaques. Il ne s'agit pas de psychose schizophrénique.
On peut aussi constater des troubles réellement psychotiques, la violence conjugale pouvant révéler ou exacerber des troubles antérieurs. Cependant, on doit se garder de fausses interprétations. Par exemple, la peur et la terreur engendrées par la violence peuvent être assimilées à tort à des troubles paranoïaques, alors qu'ils sont une manifestation du complexe PTSD.
Dans l'ensemble, les femmes victimes de violences conjugales reçoivent 4 à 5 fois plus de traitements psychiatriques que dans la population générale.
La gynécologie
Les violences sexuelles elles-mêmes ou l'impact des autres formes de violences sur l'image que la femme a de son propre corps entrainent divers troubles gynécologiques :
- lésions traumatiques périnéales lors de rapports accompagnés de violences;
- infections génitales et urinaires à répétition, Maladies Sexuellement Transmissibles (MST), infections à chlamydia responsables de salpingites et de stérilités ultérieures, infections à Papilloma virus (HPV) dont on connaît la fréquence et qui sont responsables de condylomes vénériens très contagieux et, dans certaines variétés (HPV 16 et 18), de lésions du col utérin pouvant conduire à un cancer, enfin transmission du VIH ;
- douleurs pelviennes chroniques inexpliquées ;
- troubles de la sexualité : dyspareunie, vaginisme, anorgasmie ;
- troubles des règles : dysovulations avec irrégularités menstruelles, dysménorrhées.
L'obstétrique
La grossesse est un cas particulier. Tous les auteurs considèrent qu'elle est un facteur déclenchant ou aggravant. La fréquence des violences conjugales au cours de la grossesse varie de 3 à 8 % avec des chiffres extrèmes de 0,9% à 20,1% dans une enquête de Gazmarian et coll aux Etats Unis en 1996. Dans une étude française menée auprès de 706 femmes, la fréquence de ces violences au cours des 12 mois qui suivent la naissance a été de 4,1% (Saurel-Cubizolles et coll, 1997). Par ailleurs, 40% des femmes battues rapportent avoir subi des violences " domestiques " pendant leur grossesse (Chamblisset coll, 1997). Enfin, 51,2% des femmes enceintes décédées à la suite de traumatismes physiques étaient connues de leur gynécologue comme étant victimes de violences de la part de leur partenaire ou d'une connaissance (Parsons et coll, 1999).
Les violences sont graves car elles retentissent à la fois sur la mère et le foetus.
D'abord, la grossesse peut ne pas être désirée. Elle peut être la conséquence d'un viol conjugal, avoir été décidée par le couple pendant une période d'accalmie ou être la conséquence de l'impossibilité pour la femme d'utiliser une contraception. La grossesse aboutit alors à des interruptions volontaires ou à des déclarations tardives et des grossesses mal surveillées avec leurs conséquences : accouchements prématurés, retards de croissance in utéro.
Les auteurs canadiens rapportent que 89% des femmes violentées au cours de leur grossesse, l'ont été lors d'une grossesse non désirée. Ils estiment d'autre part que les femmes ont trois fois plus de risque d'être victime de violence lorsque la grossesse n'est pas désirée.
Aux violences s'associent souvent un tabagisme, parfois l'usage d'alcool ou de drogues, une anémie maternelle, des infections urinaires plus fréquentes, toutes conditions qui retentissent sur l'évolution de la grossesse et l'état de l'enfant.
Les violences physiques en elles-mêmes peuvent entrainer des avortements spontanés, des ruptures prématurées des membranes et des accouchements prématurés, des décollements prématurés du placenta suivis de souffrance et de mort foetale, des hémorragies, voire des ruptures utérines.
Elles peuvent aboutir à la mort maternelle succédant à un homicide ou à des complications au cours de la grossesse : 25% des morts maternelles sont secondaires à des violences physiques perpétrées par le père biologique (Fildes et coll, 1992).
L'angoisse et le malaise de la femme peuvent s'exprimer après l'accouchement par une carence ou une absence de soins immédiate à l'enfant, un allaitement déficient ou absent, des douleurs abdominales et pelviennes chroniques persistantes.
L'enfant à naitre est lui aussi touché par la violence : mort foetale in-utero ou mort-né, retard de croissance in-utero (9,5% des enfants pesaient moins de 2500g dans une étude de Parker et coll en 1994), lésions foetales, à vrai dire très rares car le foetus est protégé par le liquide amniotique : fractures de membres ou plaies par armes blanches.
La pédiatrie
La violence dont l'enfant est témoin a les mêmes effets sur lui que s'il en était victime. Dans l'étude de Thomas et coll portant sur 138 femmes victimes de violences conjugales et consultant dans une unité médico-judiciaire, 68% des enfants avaient été témoins de scènes de violences. Dans 10% des cas, la violence s'exerce aussi contre les enfants. Le risque pour les enfants de mères violentées d'être eux-mêmes victimes serait de 6 à 15 fois plus élevé (Rosalind et coll, 1997).
Lors des scènes de violences, les enfants adoptent différentes attitudes : la fuite, l'observation silencieuse ou l'intervention. Ils développent un fort sentiment de culpabilité, d'autant plus que le père les utilise comme moyen de pression et de chantage. Ils ont parfois un comportement d'adultes et peuvent se sentir investis d'un rôle de protection vis à vis de leur mère. Ils prennent parfois partie pour l'un des deux parents.
Comme pour leur mère, la violence conjugale a de nombreux impacts sur leur santé. Ils peuvent souffrir :
- de lésions traumatiques : blessures accidentelles lorsque l'enfant reçoit un coup qui ne lui était pas destiné, ou violences intentionnelles, que l'enfant soit utilisé comme moyen de pression ou lui-même victime de violences de la part de l'un de ses parents. Les blessures peuvent alors être de tous types et de localisations différentes ;
- de troubles psychologiques : troubles du sommeil, cauchemars ; troubles de l'alimentation ; anxiété, angoisse ; état dépressif ; syndrome post-traumatique ;
- de troubles du comportement et de la conduite. Le climat de violence qui règne à la maison, la terreur engendrée par cette violence déséquilibre l'enfant et peuvent provoquer en lui : désintérêt ou surinvestissement scolaire, agressivité et violence ; fugues et délinquance ; conduites addictives et toxicomanies ; idées et tentatives de suicide.
- des troubles psychosomatiques. Le manque de soins ou le traumatisme psychologique engendré par les violences entrainent des troubles sphinctériens à type d'énurésie, des retards staturo-pondérals, des troubles de l'audition et du langage, des infections respiratoires à répétition.
Ces enfants sont susceptibles de reproduire la violence, seul modèle de communication qu'ils connaissent, soit dans les lieux publics (à l'école, dans la rue) soit en privé (à la maison, dans une future relation de couple).
SOURCE : http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/violence/consequences.htm